Posture des Églises au Québec dans le processus d’intégration des demandeurs d’asile haïtiens 2017-2018

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3.- La signification des actions des leaders religieux

Il  semble  évident,  en  tenant  compte  de  ces  faits,  que  l’Église  soit  une  des  propriétés structurelles du système social québécois. Selon que Giddens les désigne « …comme les murs d’une pièce d’où une personne ne peut s’échapper mais dans laquelle elle peut agir à sa guise » (Giddens, 1989, p.232). Nous considérons que la société québécoise n’a eu de choix que de laisser agir les églises dans ce contexte migratoire pour mieux adresser ce problème. Ainsi, le système social n’a eu de constater l’émergence de cette propriété structurelle.  Si  l’on  s’en  tient  à  l’affirmation  que  la  religion  est  inséparable  à  l’idée d’Église et est aussi éminemment collective, ainsi qu’à une certaine époque que la religion  règle  toute  l’existence  individuelle et  collective,  puis  bénit  toutes  les fonctions sociales (Durkheim, 1960, 65; Rémond, cité dans Bouvier, 2005, p.119), on dirait certes que l’église a toujours fait partie de la structure sociale. Le contexte actuel et surtout celui du  Québec  ne  la  relègue  que  dans  une  posture  marginale,  si  bien  que  les  politiques publiques n’ont octroyé que peu de place, sinon pas de place à cette structure sociale. Les actions récentes de ces acteurs ecclésiastiques devaient en principe attirer l’attention du politique sur la contribution de l’église dans le raffermissement des liens sociaux. Même si  que  cela  ne  devait  pas  nous  amener  à  oublier  ces  errements  dans  le  passé.  En  effet, l’essence du phénomène religieux n’est pas l’axe de notre interprétation ici, mais, comme nous suggère Freud, « le comportement auquel celui-ci donne lieu du fait qu’il s’appuie sur certaines expériences particulières, sur des représentations et des fins déterminées  » (Freud, 1968, 153). Ainsi, nous soutenons qu’en tant que partie du corps social, elle peut, sous  un  contrôle  assumé,  intégrer  officiellement  les  propriétés  structurelles  du  système social. Venons-en aux activités sociales des églises.

Les leaders religieux et les demandeurs d’asile ont en effet émaillé leurs discours du rôle des églises dans l’intégration des nouveaux arrivants, laquelle intégration est tantôt régulation administrative et sociale, tantôt socialisation à la québécoise. Cela témoigne le rapport que les églises ont eu aux normes écrites et sociales avec les demandeurs d’asile. Le  terme  communauté  et  même  religieuse  ébranle la plupart  des  gens  pour  des  raisons idéologiques, mais il demeure en réalité un problème quand la socialisation est prise dans son aspect morphogénétique, c’est-à-dire l’apprentissage du comportement et de l’acculturation. En d’autres termes, quand l’intégration implique que les comportements doivent se conformer aux normes établies (Schnapper, 2007, p.15). Cependant, quand la socialisation  est  «  la  somme  totale  de  toutes  les  expériences  sociales  qui  modifient  le développement d’un individu » tout comme affirme-t-on, « qu’on invoque la régulation, l’intégration, le « faire société », le « vivre ensemble », l’interrogation reste la même, elle perte à la fois sur l’intégration des individus à la société et sur l’intégration de la société dans son ensemble » (Wilson, 1975, p. 159, cité dans G. Busino, 1993, p.58; Schnapper, 2007, p.16). Dans cette optique, la socialisation ou l’intégration, qui se fait en partie dans un cadre communautaire, ne devrait pas constituer un problème. D’autant que les églises à  part  quelques  habitudes  culinaires  qu’elles  n’invitent  pas  aux  demandeurs  d’asile  à changer, elles les informent sur l’ensemble des pratiques sociales québécoises, même le timbre  de  voix  en  public.  Il  s’agit  en  fait  d’une  adaptation  à  la  Parsons  selon  laquelle celle-ci  «  ne  fait  pas  uniquement  référence  à  l’ajustement  passif  d’une  espèce  ou  d’un type de système social aux conditions de son environnement, elle doit inclure des facteurs de survivance plus actifs » (Parson, cité dans Giddens, 1989, p. 326). Il semble que les églises s’inscrivent dans ce type d’adaptation et de socialisation, alors que nous parlons de  socialisation  à  la  québécoise.  Celle-ci  ne  réduirait  pas  les  églises  à  apprendre  les pratiques sociales québécoises aux demandeurs d’asile. Cette adaptation et socialisation les  renvoie  plutôt  aux  affirmations  de  Parson,  qui  relie  l’ajustement  passif  et  actif  des demandeurs  d’asile,  donc  leur  culture  d’origine  est  prise  en  compte  dans  le  processus d’intégration et/ou régulation. Ce que Schnapper appelle « intégration identificatoire » ( p. 111).

Pour  finir,  nous  attirons  votre  attention  sur  deux  aspects : le  service  de  garde  et la collaboration des églises avec les organismes communautaires. Les églises ont contribué à combler un vide dans le système social quand elles ont pris en charge les enfants des demandeurs d’asile en les aidant soit à aller travailler, soit à les faciliter à apprendre un métier à dessein d’intégrer le marché de l’emploi, qui est une composante de l’« intégration  structurelle  »  chez  Schnapper.  Ce  fait  semble  un  détail  ou  un  événement singulier parmi d’autres. Il convient ici de soutenir avec quelques auteurs l’importance du particulier et du souci du détail pour les chercheurs (Becker, 1985, p. 216; Adam, Kilani, Affergan, Qeerz, Laplantine, Laburthe-Tolra, 1990, cité dans Cifali et André, 2007, p.334; Cafali et André, Ibi., p.341; Morisse, 2014, p. 18). C’est en effet dans le détail et le singulier que puisse émerger une dimension ou une interprétation nouvelle. L’appropriation du service de garde des leaders religieux dans ce contexte est une démonstration de la manière dont les églises ont habité l’espace social, et donc constitue une  propriété  structurelle  du  système  social  québécois.  D’autre  part,  la  communauté ecclésiastique  ne  s’est  pas  substituée  aux  organismes  communautaires,  elle  a  été  plutôt son  complément  en  étant  présent  individuellement  pour  les  personnes  ne  parlant  pas français,  notamment,  quand  elles  devaient  aller  soit  à  une  clinique  médicale,  soit  à  un bureau  public.  Voilà  encore  un  événement  inattendu  dont  les  leaders  religieux  se  sont appropriés. Ce n’est pas sans raison que Otero et Roy estiment que « le social reposait sur un ensemble de malentendus qui fonctionnent et qui constitueraient en quelque sorte le  liant  entre  les  gens,  agents  et  dirigeants.  Chacun  disposerait  un  espace  d’action, d’adaptation qui reposerait sur l’hétérogénéité des compréhensions et des appropriations » (Otero et Roy, 2013, p. 10)   Donc, parler du rôle des leaders religieux (Églises) dans le processus d’intégration ou de résilience (cf. Jean Baptiste, 2022, www.gitmdev.com) des  demandeurs  d’asile  haïtiens  renvoie à  l’ensemble  des  actions dont  nous  avons  fait  état  ici.  Voilà  pourquoi  qu’il  nous  semble  que  la  communauté ecclésiastique soit une propriété structurelle du système social du Québec. Si notre proposition est une fiction malgré tout, que seraient les pratiques sociales des églises dans ce contexte migratoire?

Référence

Becker, H.S.(1985), Outsiders, Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié.

Bouvier, P.(2005), Le lien social, coll. Folio Essais, Paris, Gallimard, France.

Busino, G.(1993),Critiques du savoir  sociologique.Paris, Presses Universitaires de France.

Cifali, M.et André A.(2007), Écrire l’expérience, vers la reconnaissance des pratiques professionnelles, Paris, Presses Universitaires de France.

Clavel, M.(1996), Sociologie etethnologie urbaine.Dans S.Ostrowetsky  ed.  (dir.), Sociologie en Ville.Paris, L’Harmattan,France.

Durkheim, E. (1960), Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Presses Universitaires de France.

Freud, J.(1968), Sociologie de Max Weber, coll. « SUP », Paris, Presses Universitaires France.

Giddens, A.(1989), La construction de la société. Paris, Presses Universitaires de France.

Jean Baptiste, E., (2022), La résilience ecclésiastique dans le contexte des flux migratoires des années 2017 et 2018 au Québec.

Morisse, M. (2014), Les dimensions réflexive et professionnalisante de l’écriture, Quelques considérations épistémologiques, théoriques et méthodologiques, (Dir.)

Morisse M. et Lafortune L., (2014), L’écriture réflexive, Objet de recherche et de professionnalisation, Coll. « Éducation-Recherche », Québec, Presses de l’Université du Québec, Canada.

Otero, M. et Roy, S. (2013), Introduction, (Dir.) Otero, M. et Roy, S., Qu’est que qu’un problème social aujourd’hui, Repenser la non-conformité, Québec, Presses de l’Université du Québec, Canada.

Schnapper, D.(2007), Qu’est-ce que l’intégration? Coll. « Folio Actuel », Paris,Gallimard, France.

Emerson Jean Baptiste, Ph.D.

  • Fait le 13 mars 2023 au Québec, Montréal, Canada

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